Le caractère multifonctionnel de l’espace rural
Avec l’évolution du caractère multifonctionnel de l’espace rural, des tensions entre acteurs ruraux ont tendance à se manifester depuis plusieurs années. De fait, il sert principalement de support à trois types de fonctions qui induisent des usages concurrents : une fonction économique et de production, une fonction résidentielle et récréative et une fonction de conservation et de protection de la biodiversité, du patrimoine naturel, culturel et paysager. Agriculteurs, artisans, néo-ruraux, touristes, résidents secondaires, employés ou entreprises désirent tous occuper l’espace rural et y projettent des usages et des représentations différentes. De nouveaux acteurs économiques apparaissent donc tandis que la population rurale se diversifie elle-même.
Des conflits de plus en plus nombreux
La séparation progressive de l’espace résidentiel aux espaces de travail et de production contribue à renforcer la distance qui se crée entre les habitants et les promoteurs des activités économiques. Bien que la colocalisation soit porteuse de potentialités en termes d’organisation de la production et des échanges économiques et sociaux, des tensions naissent de ces visions et de ces comportements souvent peu compatibles, et se transforment parfois en conflits au gré des engagements dans l’action des uns et des autres. Ces conflits sans cesse plus nombreux en Belgique [Groupe one asbl, 2001], font déjà l’objet d’une vaste littérature, de nombreux débats et tentatives diverses de résolution, et un courant de recherche et d’intervention s’est déjà développé en la matière [voir les références ci-dessous].
Longtemps circonscrites aux projets d’implantation d’équipements considérés comme très polluants ou très risqués, les réactions d’opposition locales se sont généralisées et affectent à présent un nombre considérable de projets publics comme privés : implantation et extension d’un parc d’activité économique, voire d’une entreprise, d’un parc d’attraction ou autre activité touristique, d’un parc à containers, d’un parc éolien, d’infrastructures de communication et de transport, d’une station d’épuration, d’un centre d’accueil pour personnes en difficulté, d’habitations à loyers modérés ou encore d’une exploitation agricole pour ne nommer que ceux-ci. Lyrette E. (2004) va dans ce sens en estimant que le syndrome dépasse largement les projets très à risque pour l’environnement comme par exemple, un site d’enfouissement ou une centrale nucléaire, et qu’il touche donc la quasi-totalité des projets de développement nécessitant l’implantation d’équipement ou infrastructure.
Un phénomène qu’il conviendrait de résoudre
Comme l’indique Marchetti N. (2005), les réactions d’opposition peuvent générer des conséquences néfastes pour le bien-être général des citoyens. Tout d’abord, les victoires des militants « ici » peuvent toujours provoquer ou aggraver des problèmes « ailleurs ». Ensuite, du fait qu’elle contribue à retarder une constante et nécessaire adéquation entre l’offre et la demande, la multiplication des manifestations peut entraîner un sous-équipement chronique de certains espaces. Les destinataires des équipements ou des services rejetés doivent alors soit s’en passer, soit se déplacer pour y a voir accès. Enfin, en matière d’aménagement du territoire, les situations de blocage dues à ces contestations peuvent être à l’origine de relégation spatiale. Les équipements sont alors concentrés dans les zones où ils ne sont pas mieux acceptés mais peut-être moins contestés.
Une confrontation d'intérêts difficilement identifiables
De nombreuses appellations sont données aux levées de boucliers des riverains envers un projet qui demande à se développer à proximité de leur habitat : conflit d’implantation, de localisation, conflit d’usage de l’espace, conflit local, de proximité, conflit d’aménagement, contestation environnementale, phénomène NIMBY, phénomène d’égoïsme privé ou collectif, dynamique d’individualisation, etc. La liste est longue. Ces conflits apparaissent le plus souvent lorsqu’un nouveau projet doit être approuvé ou lorsqu’un projet déjà en place doit renouveler son permis.
Quelle que soit la terminologie adoptée, des caractéristiques communes peuvent être données pour définir ces phénomènes. Selon Streel D. (2001), la contestation environnementale est un phénomène local et spontané issu d’un groupe de gens qui se sentent agressés dans leur intimité par une atteinte vraie ou supposée. Mormont M. (1997) ajoute à cette dynamique une autre dimension qui est celle de la revendication à participer, à intervenir dans les choix collectifs et sur des enjeux collectifs. Marchetti N. (2005) complète cette définition en parlant de conflit à l’échelle micro-locale, lorsque les contestations restent localisées à l’échelle de la rue ou d’un quartier.
Lorsque l’acronyme anglophone « NIMBY » (« Not in my backyard », en français, littéralement : « Pas dans ma cour »)est utilisé, une connotation plus négative est souvent attribuée. Pour Casal A. (2007), le NIMBY est une attitude individualiste révélant une vision à court terme, lorsque la recherche du confort ici et maintenant prime sur une attitude plus altruiste qui impliquerait une prise de conscience de nos comportements d’aujourd’hui sur la société de demain. Zaccai E. (2001) complète cette définition et dit : « NIMBY, c’est une réaction au premier degré, un mouvement de mauvaise humeur, un cri, un ordre, une défense, quelque chose de sans appel… ». Pour Baraton P. (2009), il résulte d’une certaine irresponsabilité qui amène les citoyens à revendiquer beaucoup de choses sans vouloir en admettre les conséquences logiques. Aujourd’hui, de nombreux auteurs constatent que cet acronyme est utilisé pour qualifier des conflits d’implantation et ce, quel que soit le discours mobilisé par les opposants au projet et considèrent l’usage systématique de cette labellisation des contestations de proximité comme réducteur, simplificateur voire destructeur [Marchetti N., 2005 ; Mandinaud V., 2006].
Les conflits : partie intégrante du processus de délibération au niveau local
Les changements majeurs, qui impliquent une reconfiguration des usages de l’espace (installation d’infrastructures de transport ou de déchets, nouveaux plan locaux d’urbanismes, zonages territoriaux ou environnementaux) génèrent des conflits dont l’étendue spatiale et sociale peut prendre beaucoup d’ampleur. Les conflits constituent ainsi une manière, pour différentes parties prenantes locales, d’entrer dans la discussion sur les enjeux et les chemins du développement territorial, et d’infléchir les décisions qui ne leur conviennent pas, ou de prendre au processus en cours alors qu’elles en avaient été exclues. A ce titre, selon André Torre les conflits font partie intégrante du processus de délibération au niveau local, en permettant une expression de la démocratie locale, ainsi que la réintégration de parties prenantes oubliées ou lésées dans une phase antérieure d’élaboration des projets. Les processus de gouvernance des territoires présentent deux facettes, de nature coopérative et conflictuelle (Torre et Beuret, 2012). De leur dialectique complexe et contrastée naissent les processus de gouvernance territoriale